Printemps du film engagé

Pour sa 8ème édition parrainée par le poète  et essayiste palestinien, Elias Sanbar, le Printemps du film engagé est à Marseille du vendredi 12 avril au vendredi 19 avril 2024 : une semaine de films documentaires et de fictions précédés d’un court-métrage et suivis d’un débat. Pour la première fois, une soirée prélude aura lieu le vendredi 5 avril à Aix-En Provence en partenariat avec l’Institut de l’Image.

ÉDITO

L’ère de la « mondialisation » pourrait laisser penser que l’ordre économique des échanges œuvre à l’édification d’un monde nouveau – où l’on fait le tour du monde rapidement, en prenant l’avion, en envoyant un message ou en recevant un objet produit à l’autre bout du monde. Le processus est pourtant mieux nommé en anglais, qui parle de « globalisation », car il entraîne moins la formation de ce qui pourrait être un « monde », habitable et partagé, qu’il ne produit des formes d’acosmie – une dévastation du monde en termes de richesses communes, d’écosystèmes robustes, de constructions culturelles bariolées, de communautés humaines solidaires. La globalisation capitaliste, qui s’enracine dans les divers étapes de colonisation de la planète, va avec la fragmentation et l’expulsion, les enfermements et la discrimination des circulations, l’aménagement des espaces dans une perspective extractiviste et l’accaparement des ressources, la multiplication des formes de violence qui soutiennent ces logiques. On pourrait alors penser que tout ce qui défait le monde – ces processus et les acteurs qui les mettent en œuvre – dessine un horizon de défaites. Parce qu’il semble que nous sommes arrivés à une situation où la violence sociale et économique, sous toutes ses formes, ravage non seulement des vies humaines et non-humaines, mais s’y attaque de manière à éradiquer toute possibilité de résistance.

Et pourtant des vivants ne se laissent pas réduire par ces violences, et œuvrent à composer ensemble sans se défaire d’une exigence de justice. Anna Tsing, dans Le champignon de la fin du monde, s’interrogeait sur la possibilité de vivre ensemble dans les ruines du capitalisme. Peut-on dans le feu du désastre trouver les braises qui raniment la possibilité d’un foyer – oikos en grec ? Essayer de répondre conduit à examiner comment des humains s’attachent malgré tout à constituer des « foyers » – des lieux de lutte et de vie commune. La diversité des expériences et des espaces peut nous aider à mettre au jour ce que c’est que « faire monde » et quelles sont les conditions de possibilité de tels processus d’invention et de partage. Avec les films présentés cette année dans le Printemps du film engagé, qui cherchent à mettre au jour les logiques dévastatrices en même temps qu’ils donnent à penser ce qui peut les contrer, nous espérons nourrir une réflexion politique responsable qui doit se mouvoir dans l’espace ouvert entre deux pôles : la considération de ce sur quoi butte sans cesse la politique, et qui peut conduire à désespérer, et l’idée qu’on ne peut abandonner l’exigence de liberté et d’égalité, qui porte avec elle un espoir nécessaire.

Exemplairement, la journée d’ouverture autour du diptyque Un paese di Calabria/Un paese di resistenza entend mettre en avant l’idée d’une cosmopolitique – la construction d’une politique à l’échelle du monde ancré dans un territoire particulier et qui s’oppose aux logiques de la globalisation – qui s’enracine dans la question de l’accueil des étrangers, révélatrice des régimes de séparation. On peut alors opposer deux conceptions de la « frontière » : celle qui divise et exclut, faisant le jeu des identités fixes et de l’impossibilité de « faire monde » ; et la frontière qui peut justement s’entendre comme espace d’ouverture et de « passage », zone de jeu entre des humains de cultures et d’horizons différents où se joue la constitution d’un nouveau monde commun. Mais il s’agit de voir aussi ce qui peut opérer à défaire cela et comment la « résistance » peut œuvrer malgré tout.

Vivre dans le même monde ce serait alors prendre part, par la parole et les actes, à la constitution d’un espace qui fasse être à la fois chacun·e comme sujet humain et politique, et le monde lui-même comme ce qui est fait par ces acteurs. Le monde en ce sens ne préexiste pas à son instauration par ceux-celles qui font monde ensemble. C’est ce que Hannah Arendt indiquait dans Qu’est-ce que la politique ? lorsqu’elle disait que « vivre-dans-un-monde-réel et discuter-de-lui-avec-d’autres, c’est au fond une seule et même chose ». Nous espérons que les séances du festival de cette année nous permettront de vivre ces temps d’expérience et de discussion partagées qui donnent du cœur à l’ouvrage.